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[Interview] : « Les territoires zéro chômeur sont une étape vers les métiers en tension »

Dans cette interview, Jean-Christophe Sarrot, d'ATD Quart Monde explique comment Territoires Zéro Chômeur peut être bénéfique à l'emploi.
22/05/202310 mins
Par Hugo Messina
Jean-Christophe Sarrot, expert des territoires zéro chômeur longue durée (tzcld)

Comment résoudre le problème de chômage ? Avec 7 % de chômage en France, cette question demeure centrale dans le monde de l’emploi. Pourtant, des initiatives innovantes s’inscrivent dans cette lutte. 

Responsable du réseau Emploi d’ATD Quart Monde, Jean-Christophe Sarrot a participé à la mise en place du dispositif Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD) et suit de près son déploiement. 

Avec cette interview d’expert-analyste de l’emploi, la rédaction de Hupso va à la rencontre d'autres acteurs engagés. Zoom pour comprendre les principes de ce projet mais aussi son utilité vis-à-vis des métiers en tension, que nous avons à cœur de défendre.

L'interview de Jean-Christophe Sarrot, responsable du réseau Emploi chez ATD Quart Monde

  • Qu’est-ce que le projet Territoires Zéro Chômeur (de Longue Durée) ?

Jean-Christophe Sarrot : « Chez ATD Quart Monde, notre objectif est l’accès du plus grand nombre à l’emploi décent et à la formation. C’est ainsi que prennent forme de nombreux projets, dont Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée. En fait, nous cherchons à savoir pourquoi et comment relancer l’accès à l’emploi et à la formation.

On a donc commencé à travailler sur ce dispositif depuis 2011 : ce projet demande beaucoup de temps ! Il consiste en deux principes simples mais difficiles à appliquer concrètement. 

D’abord, on veut mobiliser un territoire, pour que tous les acteurs concernés mettent leur énergie en commun et oublient leurs préjugés sur l’emploi. Notre idée novatrice vise à faire sortir la question du chômage et de l’emploi du cercle restreint des spécialistes et des économistes. On souhaite en faire une vraie question citoyenne, de mobilisation de tous. Il faut se demander quels sont les emplois utiles, dont aurait besoin le territoire en question. 

Le second principe prend la forme d’un circuit financier innovant, pensé dans les années 90 et mis en œuvre avec les territoires zéro chômeur en 2017. Selon ce modèle, le chômage de longue durée représente un coût humain financier : environ 20 000 euros, par chômeur de longue durée, par an. Bien évidemment, la personne en situation de chômage ne perçoit pas ce montant. 

Pour nous, un tiers de ce coût se retrouve dans les aides sociales perçues, un autre tiers se cache dans les manques à gagner fiscaux, par exemple en payant moins d’impôts ou en réduisant sa consommation. Enfin, le dernier tiers est dû aux coûts indirects de l’accompagnement du chômage, comme le mal-logement ou les problèmes de santé engendrés. »

  • Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée : pourquoi est-ce un projet innovant pour l’emploi ?

Jean-Christophe Sarrot : « Ce projet aide à reporter le coût du chômage de longue durée en créant des emplois. Pour vous donner une idée, on va se servir de ces 20 000 euros pour payer un salaire, des cotisations sociales. Avec les TZCLD, on complète ces dépenses avec du chiffre d’affaires réalisé par les travailleurs eux-mêmes. En contrepartie, on ne cherche pas forcément de rentabilité pour l’activité. 

En fin de compte, on parvient à proposer une rémunération complète au SMIC aux personnes bénéficiant du dispositif, en activant les coûts et les manques à gagner liés au chômage. 

Avec cette initiative, on désire créer des activités utiles pour la société. Les entreprises zéro chômeur s’établissent dans des domaines non-concurrentiels. Par exemple, une entreprise locale ne peut pas être concurrencée par une entreprise zéro chômeur. On évite tout risque de suppression de poste. C’est ce qu’on appelle la création nette d’emploi ou création d’emplois supplémentaires. On ne veut pas nuire aux acteurs économiques du territoire, ni détruire des postes existants.

Ainsi, les métiers utiles visés par les entreprises zéro chômeur se situent principalement dans les secteurs du soin aux personnes et de l’environnement. Des emplois de lien social et de médiation se créent en ville, auprès de personnes isolées. On tisse à nouveau le lien social avec des activités culturelles ou collectives. En milieu rural, on va lutter contre l’isolement lié à l’absence de mobilité, comme des services de mobilité solidaire. Pour ce qui est du côté environnemental, on développe des activités de maraîchage urbain mais aussi des chantiers d’isolation thermique des bâtiments, pour favoriser la transition écologique. »

  • Vous expliquez que ce projet aide à « repenser l’emploi », qu’est-ce que cela signifie ?

Jean-Christophe Sarrot : « C’est une notion qui dépasse ce projet. Selon moi, repenser l’emploi se matérialise par deux idées : créer des emplois décents et développer la qualité de vie au travail

Pour améliorer la qualité de vie des travailleurs, il faut réfléchir à une logique plus horizontale que descendante, avec la participation de tous à la vie de l’entreprise. 

Il faut également donner du sens au travail. Honnêtement, de plus en plus de personnes sont à la recherche de plus de sens dans leur profession. C’est un courant qui englobe à la fois le sentiment d’utilité et la qualité de vie au travail. 

Dans les entreprises zéro chômeur, on expérimente ces dimensions. On veut que le salarié soit à l’aise, à la fois respecté et heureux au travail. En tout cas, on observe des pratiques intéressantes dans ces entreprises zéro chômeur. Le dispositif TZCLD aide à repenser le travail, et si possible redonner de l’attractivité à des métiers qui attirent moins aujourd’hui. »

  • Comment le projet TZCLD peut être bénéfique aux secteurs et métiers en tension ?

Jean-Christophe Sarrot : « À première vue, ce dispositif a un impact restreint sur les secteurs en tension. En effet, ce sont pour la plupart des secteurs concurrentiels, sur lesquels les entreprises zéro chômeur n’ont pas le droit de se positionner.

Néanmoins, ce projet agit indirectement sur les métiers en tension. Déjà, le dispositif aide à repenser la gouvernance au sein du monde du travail, pour mieux engager les personnes. Pour retrouver un emploi stable et pérenne, il ne suffit pas de traverser la rue. Il y a tout un chemin à réaliser quand on vient du chômage de longue durée. Il faut recréer un dialogue social et se remettre en conditions de travail. Avec plus de confiance, les demandeurs d’emploi, découragés par l’univers professionnel, se tournent plus facilement vers un nouvel emploi.

Il faut que les secteurs en tension profitent du fait que les personnes retrouvent confiance en elles, en leurs capacités physiques et mentales. En chômage de longue durée, on fonctionne souvent au ralenti, c’est un bon moyen de tout entraîner et réactiver.

Une personne au chômage depuis plusieurs années peut se tourner vers les entreprises zéro chômeur pour retrouver un rythme de travail. C’est un moyen de faire des pas progressifs vers le monde de l’entreprise ou de la formation. Par exemple, c’est retrouver le mécanisme de se dire « je suis capable de travailler en équipe, de me lever le matin et d’accomplir des tâches à responsabilité. » Les personnes reprennent confiance en elles et peuvent se lancer avec plus de facilité vers les métiers en tension

Sur les TZCLD, on remarque que des artisans qui ne réussissent pas à recruter depuis des années, notamment le bâtiment, retrouvent des salariés, passés par ce dispositif. Récemment, un marbrier qui avait du mal à embaucher, malgré de belles rémunérations, s’est servi du territoire zéro chômeur de sa commune pour relancer son activité avec de nouveaux salariés. Les territoires zéro chômeur sont une étape vers les métiers en tension. Ils optent pour des anciens chômeurs de longue durée, passés par le dispositif, comme un sas pour retrouver confiance. » 

  • Un chômeur de longue durée peut-il se former à un nouveau métier au cours du processus ?

Jean-Christophe Sarrot : « Dans les entreprises zéro chômeur, des parcours de formation sont pensés avec les salariés, au lieu d’être imposés. Cela permet de mieux répondre aux envies professionnelles des personnes mais aussi de progresser sur le plan des compétences.

Le système du temps choisi, mis en place dans les entreprises zéro chômeur, permet à la personne de s’insérer plus tranquillement dans le monde du travail. C’est un bon moyen d’organiser son temps de travail avec des projets annexes, notamment se former à un autre métier. 

Puisque les entreprises zéro chômeur proposent un CDI inconditionnel, les personnes se lancent plus volontiers dans une reconversion, en se formant. Cela permet de commencer un projet de formation en toute sérénité. On invite même les personnes à réfléchir à un plan de formation, dès qu’elles se sentent prêtes, en expliquant que l’entreprise zéro chômeur n’est pas une fin en soi. La sécurité du CDI redonne des raisons aux personnes pour envisager des projets de formation ambitieux

Les personnes comprennent que l’entreprise zéro chômeur est plafonnée au SMIC. Les perspectives d’évolution au sein de l’entreprise restent maigres. Ce n’est pas le but du dispositif. Au bout de quelques mois ou années, ils préfèrent évoluer vers d’autres métiers ou secteurs qui les attirent. C’est un système gagnant-gagnant entre les personnes au chômage et les secteurs en tension. 

D’ailleurs, si une personne quitte l’entreprise zéro chômeur, sa place est conservée, pour la rassurer et créer un filet de sécurité. On encourage les personnes à s’essayer à l’extérieur, notamment sur les métiers en tension. Les bénéficiaires partent donc souvent se former aux métiers de leurs rêves ou sur des métiers en tension, en sachant que les opportunités de recrutement sont très larges. En fait, ces stratégies d’emploi déclenchent des projets de formation. »

  • Reconduit jusqu’en 2026, le projet TZCLD remplit-il ses objectifs jusqu’à présent ?

Jean-Christophe Sarrot : « À l’heure actuelle, la moitié des objectifs fixés ont été atteints. On se trouve au milieu du guet. On touche l’équilibre, puisqu’on a embauché la moitié des personnes au chômage de longue durée. Il reste donc à employer la seconde moitié d’ici 2026.

En réalité, nos objectifs sont ultra ambitieux, voire carrément utopiques. Par exemple, les embauches proposées dans les entreprises zéro chômeur se font sous conditions particulières, sous CDI avec un temps et une activité choisis par la personne embauchée. Ces critères sont difficilement applicables dans une économie plus large. En plus, il s’agit d’embaucher toutes les personnes en situation de chômage de longue durée sur des activités non-concurrentielles. C’est donc un écart important avec le réalisable. 

On veut embaucher les personnes qui ne trouvent plus de travail, sans être rentable et avec la volonté d’organiser la démocratie en entreprise. C’est extrêmement difficile car il faut identifier les personnes concernées… et les convaincre ! Elles sont souvent découragées ou renfermées sur elles-mêmes. Elles n’ont plus confiance en leur capacité et ont du mal à réintégrer le monde du travail. Il faut réussir à accompagner les personnes vers l’embauche, sans les y obliger. C’est un challenge de faire travailler ensemble des gens touchés par le chômage de longue durée, souvent cassés par leurs expériences, avec des âges différents, provenant de milieux variés. On rencontre aussi bien des anciens cadres que des personnes peu diplômées, victimes d’extrême pauvreté. Le chômage de longue durée touche des profils avec des parcours très divers. »

  • Quels enseignements peut-on tirer du dispositif Territoires Zéro Chômeur ?

Jean-Christophe Sarrot : « Si on fait le point, on apporte des améliorations sur les conditions de travail, avec l’accès à un CDI, au temps choisi et à des compétences qui plaisent et correspondent à la personne. Ces entreprises zéro chômeur aident les personnes à remettre un pied dans l’activité, pour ne plus être invisibles et valoriser des compétences, parfois insoupçonnées.

Il faut explorer les enseignements de ce projet zéro chômeur de longue durée. On garde en tête que notre dispositif a vocation à s’appliquer aux autres secteurs de l’emploi en France, pour donner plus de sens au travail et améliorer la qualité de travail. Si on parvient à trouver des méthodes innovantes, qui réussissent mieux que d’ordinaire, l’objectif est de diffuser ce modèle aux entreprises privées, aux artisans, aux employeurs publics et au secteur de l’insertion.

Plusieurs chercheurs et des professionnels de la formation s’intéressent aux nouvelles pratiques de management des entreprises zéro chômeur, pour savoir comment les transférer dans d’autres structures, confrontées à des difficultés de recrutement, comme le manque de candidats ou la dévalorisation de professions. Je pense que le projet peut être bénéfique au monde de l’emploi, à la fois aux entreprises et aux travailleurs. Si notre initiative permet à d’autres sphères sur de nouveaux territoires, d’améliorer la vision du travail et les conditions des salariés, c’est une réussite. On aura réussi à donner plus de sens à certains emplois mais aussi à diminuer la souffrance au travail. »

À retenir de cette interview

Vous n’avez pas eu le temps de tout lire ? 

Pour comprendre le projet TZCLD : 

Les territoires zéro chômeur de longue durée ont vocation à lutter contre la privation durable d’emploi, en créant des activités locales utiles. Ce dispositif se base sur le droit d'obtenir un emploi, présent dans la Constitution française de 1946. L'objectif est d'employer des chômeurs de longue durée (recherche d'emploi depuis au moins un an) dans des Entreprises à But d'Emploi (EBE), pour donner l'opportunité de (re)lancer sa carrière professionnelle.

En chiffres :

  • 48 territoires sont habilités sur ce projet depuis janvier 2023
  • 5 associations ont initié ce projet (ATD Quart Monde, Secours catholique, Emmaüs France, Le Pacte civique et la Fédération des acteurs de la solidarité)
  • 908 000 personnes ont été touchées par le chômage de longue durée en 2022
  • 36 entreprises à but d’emploi (EBE) existent depuis juillet 2022

En résumé :

Les TZCLD sont des vecteurs pour les secteurs professionnels en tension. Ils aident avant tout à renouer un lien avec le monde du travail, retrouver confiance en ses capacités et se relancer dans l’aventure, avec un nouveau métier ou un projet de formation. 

Il est encore tôt pour dresser un bilan définitif mais ce projet a déjà réussi le pari d’embaucher la moitié des chômeurs de longue durée sur les TZCLD. Néanmoins, ces emplois ne sont pas une fin en soi pour les bénéficiaires.
À terme, l’objectif est surtout d’expérimenter de nouvelles méthodes de travail, pour améliorer la qualité de vie professionnelle et donner plus de sens aux métiers exercés.

Qui est Jean-Christophe Sarrot ?

Pour découvrir le parcours et le travail de Jean-Christophe Sarrot, voici sa biographie et sa bibliographie : 

 

Merci à Jean-Christophe Sarrot pour cette interview, essentielle pour mieux comprendre les enjeux du retour à l’emploi et découvrir des solutions innovantes mises en place en France !

 

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Hugo MessinaRédacteur de contenus

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