[Interview] « Faire naître des vocations de soignant »
Se former à un métier de la santé, c’est découvrir un secteur tourné vers l’humain et le don de soi pour autrui. Malgré ces belles valeurs, les établissements de santé font face à une pénurie de professionnels. Les métiers du paramédical, comme infirmier ou aide-soignant, sont même les premiers concernés par ce manque de candidats.
Pour Christophe Mazzola, ancien professeur en IFSI, intervenant désormais en tant que formateur indépendant, la formation est un enjeu majeur pour redonner de l’attractivité au secteur. La rédaction de Hupso a donc donné la parole à cet ancien infirmier militaire, qui nous éclaire sur les solutions envisageables pour former plus de soignants et répondre aux problématiques de recrutement.
L’interview de Christophe Mazzola, coach et formateur en Soins Infirmiers
-
Quels sont les principaux défis de la pénurie de soignants actuelle ?
Christophe Mazzola : « Il y a d’abord des défis intrinsèques à l’établissement, notamment le salaire proposé à l’infirmier qui postule à l’offre d’emploi. Aujourd’hui, on fait face à une offre inférieure à la demande. Concrètement, on recherche énormément de soignants mais les infirmiers diplômés sont peu nombreux ! Ces jeunes professionnels ont donc le choix dès la fin de leurs études : le milieu public ou le secteur privé. Dans le secteur public, le salaire est réglementaire. On doit plutôt attirer en proposant des prestations supplémentaires. Au contraire, les établissements privés ont plus de facilité à fixer des salaires attractifs.
Il y a aussi un défi de recrutement, pour trouver des professionnels qualifiés et motivés à travailler dans les centres hospitaliers. Les étudiants sélectionnent de plus en plus la voie qu’ils choisiront : ils sont encore en position de force. Pourtant, il faut savoir donner de soi aujourd’hui. Par exemple, si votre objectif est de travailler en réanimation, il faudra peut-être débuter votre carrière en Ehpad, pour se former, apprendre les gestes techniques du métier et surtout pourvoir les postes vacants.
Paradoxalement, on se retrouve avec des étudiants qui négligent une partie de leurs responsabilités. À mon avis, ils ne se forment pas pour être d’excellents professionnels à l’issue de la formation. Ils apprennent pour valider un cursus, sans fournir les efforts pour être apte à exercer correctement. Le grand défi du soin est donc d’avoir des professionnels investis et compétents. Il faut être opérationnel après sa formation, pour proposer des soins pertinents et efficaces. Il faut aussi fidéliser, pour éviter les abandons de carrière et faire naître des vocations de soignant à nouveau. »
-
Face à ces enjeux, faut-il former plus de personnes aux métiers de la santé ?
Christophe Mazzola : « Je dirais même plus : il n’y a pas le choix ! Il faut augmenter le nombre de places en école, pour augmenter le nombre de soignants.
La formation d’infirmier l’illustre bien. Les IFSI sont confrontés à un problème de places. Il faut avoir assez de structures pour accueillir un nombre suffisants d’élèves. Il est aussi nécessaire de trouver plus de formateurs pour assurer la continuité pédagogique. Idéalement, il faudrait ouvrir les budgets des hôpitaux, car environ 60 % des IFSI dépendent de ces établissements publics.
Attention, même si la formation risque d’évoluer dans les prochaines années, l’étudiant doit s’attendre à du travail. C’est une fausse-idée de croire que le diplôme s’obtient en un claquement de doigts. Même s’il y a des pénuries de professionnels, la formation reste exigeante. Il faut donc être travailleur, organisé et persévérant. C’est un vrai investissement personnel. Il faut accepter la réalité du métier, notamment face aux patients, qui sont parfois stressés ou qui réagissent sur le coup de l’émotion. De son côté, l’infirmier doit être calme et prendre sur soi. C’est d’autant plus vrai pour les personnes en reconversion professionnelle.
C’est pour ces raisons que préparer son concours est obligatoire selon moi. Surtout pour les personnes en formation continue (reconversion professionnelle, ndlr), qui passent encore un concours. Je pense qu’une prépa d’un an est idéale pour être prêt mais tout dépend de son expérience passée.
En plus, ces formations sont idéales pour une reconversion professionnelle. J’ai connu des promos mixtes, avec des étudiants qui sortent du bac et des salariés de 50 ans en reconversion. Par contre, je les alerte sur les conditions de travail et la réalité du métier, pour vérifier que leur reconversion est un projet réfléchi et mûri. »
-
Côté pédagogie, les programmes de formation doivent-ils évoluer pour attirer plus d’étudiants ?
Christophe Mazzola : « Au moment de mes études, en 2000, les modules que je validais s’agrégeaient au fil de la formation d’infirmier. Aujourd’hui, les chapitres sont segmentés. Quand un élève apprend une unité d’enseignement, il ne tombe pas sur des questions d’une autre unité d’enseignement. Pour moi, c’est dommage.
Néanmoins, je trouve que la formation d’infirmier actuelle est bien telle qu’elle est. Il faudrait simplement revoir certains points qui ne sont pas mis en pratique par le soignant. C’est plutôt une question de rééquilibrage des heures prévues pour chaque matière.
Je veux juste que les gens gardent à l’esprit que le but n’est pas de plaire aux étudiants. On cherche à les professionnaliser avant tout. La présélection permet de garder les étudiants aptes. Une fois en formation d’infirmier, ils sont considérés comme des jeunes professionnels, à qui les formateurs apprennent un métier. »
-
Comment redonner de l’attractivité aux métiers de la santé et attirer vers ces formations ?
Christophe Mazzola : « Du côté des étudiants, je pense qu’il faut les informer correctement sur ce que sont les métiers de la santé, comme infirmier, aide-soignant ou auxiliaire de puériculture. Personnellement, je remarque que beaucoup de personnes intéressées par ces concours ne savent même pas en quoi consiste la profession. Il faut absolument informer sur les compétences, les missions, les responsabilités et le quotidien.
Ensuite je dirais, quel métier n’a pas ses contraintes ? À mon avis, il faut faire la balance entre les inconvénients et les apports. Si le métier nous apporte plus que ce qu’on y perd, alors il faut foncer. Avant même de se lancer, je conseille aux personnes intéressées de se renseigner sur les contraintes et de les confronter à leurs convictions. En général, on se rend rapidement compte qu’en étant soignant, la sensation d’être utile surpasse toutes les contraintes possibles.
Attention, il faut rester réaliste. Par exemple, le travail va de plus en plus s’orienter vers les personnes âgées. Il ne faut pas négliger l’autre face de la pièce. Être honnête sur tous les points permet de mieux motiver les personnes mais aussi de les préparer à un métier de la santé. Une fois en formation, on évite que l’étudiant soit déçu et qu’il revienne sur sa décision. »
-
Des évolutions professionnelles sont-elles possibles dans les métiers de la santé ?
Christophe Mazzola : « Bien sûr ! Il faut aussi montrer que les carrières ne sont pas statiques. Les évolutions de carrière existent. Il y a la possibilité d’être muté d’un service à l’autre. On ne passe plus 20 ans dans le même environnement professionnel. Il est assez courant de changer de service tous les quatre à cinq ans. C’est même préférable pour l’établissement.
Pendant ma pratique infirmière, j’étais très axé sur le tutorat d’étudiants, pour les former en cardiologie par exemple. En 2017, j’ai donc passé le diplôme de cadre de santé pour évoluer professionnellement. Dès l’obtention de ce sésame, j’ai été recruté en Institut de Formation en Soins Infirmiers, notamment pour être le référent des étudiants en première année d’école. En 2021, j’ai de nouveau eu envie de changement. Je suis donc devenu adjoint cadre à la direction des soins, c’est-à-dire la partie hiérarchique la plus haute d’un établissement. Je me suis occupé du recrutement des professionnels paramédicaux et des vacataires de l'établissement.
En parallèle, j’ai connu plusieurs directrices de soins qui ont commencé aide-soignantes, puis infirmières, cadres de santé, cadres supérieures… jusqu’au plus haut de la hiérarchie. Tout ce parcours en seulement 25 ans. Les opportunités professionnelles sont donc immenses. »
-
Qu’est-ce qui vous a poussé vers un métier de la santé ?
Christophe Mazzola : « L’univers de la santé m’a toujours attiré. J’avais commencé des études de médecine que je n’ai pas poursuivies. Plusieurs possibilités s’offraient donc à moi, dont devenir infirmier. À l’époque, des gens de mon entourage exerçaient cette profession et m’en parlaient, j’avais aussi une école proche de chez moi. J’ai donc postulé assez instinctivement.
Ensuite, j’ai commencé ma carrière d’infirmier en 2000, en psychiatrie dès la fin de ma formation. Au moment de passer mon service militaire, je me suis engagé comme infirmier dans les forces armées en 2003. Une grande partie de ma carrière s’est donc déroulée dans le milieu militaire. J’exerçais dans des centres hospitaliers, comme celui de Bégin (région parisienne) ou à Bordeaux. Je suis aussi parti en Opex (Opération Extérieure, ndlr), en soutenant les forces armées sur deux missions militaires. C’est un métier que j’ai appris à connaître et à aimer très fortement, très vite. »
-
Le mot de la fin : quels sont les avantages des métiers de la santé ?
Christophe Mazzola : « Donner un sens à sa vie. Pour moi, c’est la première source de motivation. C’est très important de développer le rapport à l’autre. Du moment où je me rends utile pour quelqu’un, j’ai l’impression de donner un vrai sens à ma vie. On est dans un échange perpétuel. En traitant avec l’humain, on a des retours, ce qui permet d’avancer sur le plan professionnel et personnel.
C’est un métier qui vise à porter du soin. Si l’autre est en difficulté, le soignant est là pour lui venir en aide. On développe un peu le syndrôme du sauveur, même si on doit plutôt avoir le rôle d’un accompagnant. D’ailleurs, le rapport avec les familles est aussi important. C’est toujours appréciable d’avoir quelqu’un à son écoute quand on traverse des moments difficiles : c’est aussi le rôle d’un soignant.
Être soignant, c’est aussi avoir des connaissances pointues. On devient rapidement un spécialiste dans un domaine. Par exemple, si un infirmier travaille en médecine et veut évoluer en chirurgie, il doit apprendre de nouveaux gestes pendant plusieurs mois. Pourtant, c’est un professionnel avec de l’expérience. Mais il se spécialise et finit par être efficace dans son domaine. C’est une dynamique très enrichissante.
Il y a aussi l’aspect salarial. Bien entendu, tout dépend de son objectif de vie. Si on veut avoir un yacht, pas la peine de devenir infirmier ! Plus sérieusement, les métiers du soin offrent des salaires intéressants et un soignant vit tout à fait convenablement. »
Envie de vous lancer ? Profitez de notre semaine d’essai
Essayez gratuitementÀ retenir de l’interview de M. Mazzola
Le secteur en chiffres
- 126 700 projets de recrutement aux postes d’infirmier et d’aide-soignant, en 2023
- 77 % des recrutements jugés difficiles au poste d’infirmier, en 2023
- 637 644 infirmiers diplômés d’État (IDE), au 1er janvier 2022
- 32 500 étudiants en IFSI, pour la promotion 2020-2023
En résumé : les enjeux des métiers de la santé
Comme d’autres secteurs en tension, les métiers de la santé recrutent énormément de professionnels. Néanmoins, les établissements de santé sont confrontés à une pénurie de main d’œuvre. C’est notamment le cas pour les métiers du paramédical, comme les professions d’infirmier, d’aide-soignant ou d’auxiliaire de puériculture.
Pour lutter contre ces difficultés de recrutement, l’accent doit être mis sur la formation de nouveaux profils mais aussi la valorisation de ces parcours professionnels. En bref, voici les principaux enseignements à retenir :
- Mettre en avant les bénéfices des métiers de la santé (sentiment d’utilité, métier humain, perspectives d’évolutions professionnelles, etc.)
- Mieux informer les étudiants sur les métiers et les fonctions exercées
- Augmenter le nombre de places dans les instituts de formation
- Engager plus de formateurs aux métiers de la santé et du soin
- Professionnaliser et responsabiliser les étudiants durant leur apprentissage
Envie de vous lancer ? Profitez de notre semaine d’essai
Essayez gratuitement